samedi 16 juin 2012

Microbiote !

De la fourchette… au cerveau
DU BRULLE, CHRISTIAN

Nutrition: L’alimentation a un impact sur la santé mentale

 L’alimentation a un impact direct sur notre santé générale. Elle en a aussi un, nettement moins connu, sur celle de notre microbiote, cet « organe » (lire ci-dessous) qu’on appelait jadis la flore intestinale, ainsi que sur notre cerveau et donc notre humeur !
 À Evian, où vient de se tenir le premier congrès mondial de l’Association « Santé et microbiote intestinal », la nouvelle section de la Société européenne de neuro-gastro-entérologie, les spécialistes du domaine ont montré à quel point ce fameux « organe », riche de plus de mille types de bactéries était encore mal connu.
 « Nous savons qu’il existe de multiples liens entre les bactéries de notre tractus digestif et les cellules épithéliales de l’intestin notamment, explique Joël Doré, directeur de recherche à l’Inra (Institut national de recherche agricole, en France). Mais souvent, ces signaux moléculaires vont bien au-delà de ces seules cellules qui forment la paroi interne des intestins. Nous avons déjà identifié des interactions très étroites entre certaines bactéries du microbiote et le tissu adipeux. Ces signaux modulent l’expression des gènes et donc… la physiologie de ces tissus. »
 L’impact du microbiote sur l’obésité est un des domaines de recherche en pleine expansion. Une autre voie tout aussi passionnante porte sur la communication entre le microbiote et le foie, lequel est un intermédiaire entre les intestins et le cerveau.
 « Des expériences actuelles menées au Canada montrent toute l’importance de ces liaisons sur la santé mentale », reprend le chercheur.
 Les scientifiques canadiens ont utilisé deux familles de souris : des animaux stressés et d’autres particulièrement calmes. Au départ de celles-ci, ils ont généré dans un environnement stérile une seconde génération de souris stressées et calmes absolument dépourvues de germes dans les intestins. Sans microbiote, donc. Les chercheurs ont alors inoculé le microbiote des souris stressées de première génération aux souris « stériles » calmes et le microbiote des animaux paisibles à ceux plutôt agités.
 « Leurs résultats sont passionnants, reprend le Dr Doré. On observe que le microbiote joue un rôle déterminant dans le comportement de ces animaux. Les souris naturellement calmes chez lesquelles on a inoculé le microbiote des souris stressées développent un comportement anxieux auquel sont associés des neuromédiateurs de stress et d’anxiété. »
 De là à dire que ce qui passe par l’assiette des gens détermine leur humeur, il n’y a qu’un pas. Que le Dr Doré franchit… prudemment. « Cela semble bien être le cas. Mais nous ne connaissons pas encore les mécanismes en jeu. Les travaux à ce sujet sont encore préliminaires. L’intestin est le deuxième organe le plus riche en termes de neurones après le cerveau. Il est possible que ce soit la signalisation qui provient directement du microbiote qui monte au cerveau. Ou alors, il s’agit d’une signalisation plus indirecte, qui passe par les cellules de l’épithélium ; lesquelles génèrent diverses hormones susceptibles d’avoir un effet au niveau cérébral.
 On peut dans ce cas imaginer assez aisément que ces signaux peuvent être modulés par l’alimentation. Mais là… nous n’en sommes encore qu’au début de nos travaux. »
Le microbiote, c’est un nouvel organe !

Entretien:
 James Versalovic est médecin aux Etats-Unis. Ce microbiologiste dirige le centre d’étude du microbiote infantile au Texas.
  •  On parle désormais de microbiote au lieu de flore intestinale : s’agit-il d’un phénomène de mode ?
  •  On sait depuis 50 ans au moins que les bactéries présentes dans nos intestins jouent toute une série de rôles. Dans la digestion bien sûr, dans les maladies, dans des phénomènes neurologiques. Ce qui est neuf, désormais, et nous le découvrons un peu plus chaque jour grâce aux technologies modernes, c’est que les activités de ces bactéries et leurs interactions avec notre organisme sont bien plus complexes que ce nous le pensions. Elles travaillent ensemble et s’apparentent, pour le microbiote intestinal, aux fonctions d’un véritable organe, comme les poumons, le foie, le cœur. Il y a donc une évolution dans notre manière de concevoir l’importance de cette flore qui fait qu’aujourd’hui, on préfère parler de microbiote et de considérer ce système biologique comme un véritable organe.
  •  Sa richesse et son impact rivalisent-ils avec d’autres organes plus traditionnels ?
  •  Deux chiffres permettent de se faire une idée de l’importance du microbiote intestinal pour notre organisme. Le génome humain totalise 25.000 gènes et la première cartographie complète de ceux-ci a été réalisée pour la première fois il y a dix ans à peine. Le métagénome comme on l’appelle, soit les gènes de l’ensemble des bactéries qui colonisent nos intestins est de quelque huit millions de gènes ! Cela vous donne une idée de la complexité de cet organe. Nous avons appris à prendre soin de notre cœur, il est donc tout à fait indiqué de prendre soin aussi de notre microbiote.
  •  Quels sont les domaines de recherche les plus récents dans ce domaine ?
  •  Nous pouvons avoir une certaine influence sur la richesse et la diversité de notre microbiote, notamment par l’alimentation. C’est évident. Les travaux sur les probiotiques sont une voie de recherche qui bénéficie directement aux consommateurs. On étudie aussi plus globalement le métagénome de ce microbiote. Là aussi il y a du travail. Et les découvertes ne cessent de se multiplier. On sait depuis peu que ce fameux organe bactérien que nous hébergeons est aussi capable de synthétiser des acides aminés et des vitamines que nous ne sommes pas en mesure de produire directement. Son étude plus poussée et sa compréhension plus fine vont nous permettre de développer de nouveaux concepts, de nouvelles stratégies nutritionnelles pour le bénéfice de tous.

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